Norbert Rodrigue, décédé le 22 octobre dernier, a contribué à développer et à consolider des îlots d’initiatives citoyennes du vivre ensemble.
Ces lieux sont déjà en émergence, notamment dans les domaines des politiques publiques liées au développement local, à la décentralisation, à la santé, à l’éducation, à l’environnement, la culture, l’agriculture, l’énergie, l’habitation, à l’intégration des nouveaux arrivants. Il s’agit d’une perspective de démocratie active.
Peu de personnages publics ont eu parcours aussi diversifié que celui de Norbert Rodrigue. Tout au cours de sa vie, ses contributions ont été remarquables tant au niveau syndical que dans le renouvellement des politiques publiques, dans la révision de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées ainsi que dans la nécessité de doter le Québec d’une politique en développement social. La lutte à la pauvreté et la réduction des inégalités ont été au cœur de ses préoccupations, au fond avec un peu d’avance sur plusieurs lieux aujourd’hui aux prises avec une montée de la colère face à ces inégalités.
À travers ses interventions, il se présentait non pas comme un expert des politiques sociales, mais plutôt comme un citoyen, un électeur, un contribuable. Comme syndicaliste, il a occupé diverses fonctions dans le réseau de la santé et des services sociaux, expérimenté diverses formes d’expression de solidarité sociale. On pouvait l’entendre souvent s’exprimer en ces termes :
Je côtoie des chômeurs, des personnes sur l’aide sociale, des pauvres, des gens qui entretiennent de maigres espoirs quant à l’amélioration de leurs conditions économiques, familiales et sociales. Comme vous également, je cherche des solutions marquées au coin du partage, une valeur que l’on a tendance à oublier dans l’application de nos droits et libertés individuelles .
Norbert Rodrigue
Le Forum en développement social : dans quelle société voulons-nous vivre ?
Peu de témoignages entendus ces derniers jours ont fait ressortir sa contribution à l’amélioration des politiques publiques et sa détermination à inscrire le développement social dans l’agenda politique. Pourtant, à titre de président du Conseil de la santé et du bien-être dans les années 90, il a apporté de nombreux points de vue et formuler des propositions notables pour l’amélioration des politiques publiques. L’avis sur l’évolution des rapports public / privé dans les services de santé et les services sociaux constitue une pièce maîtresse dans le débat en concluant sur une formule toujours d’actualité : « si l’État ne peut tout faire, il y a des choses que seul l’État peut faire ».
Le Forum sur « comment agir pour réduire les inégalités socio-économiques et la santé » a, de son côté, contribué à inscrire la réduction des écarts entre les groupes sociaux au cœur des politiques publiques.
Mais la contribution la plus significative du Conseil de la santé et du bien-être, toujours sous la présidence de Norbert Rodrigue, demeure la tenue en 1998 du Forum sur le développement social avec comme thème « agir solidairement pour le mieux-être des personnes et des collectivités ».
Il s’agit de l’une de ses plus importantes contributions au développement de la société québécoise. Ce forum a mobilisé des milliers de personnes à travers tout le Québec, dans la diversité de ses régions, de ses différents milieux de vie. Plus d’une cinquantaine de forums régionaux et locaux se sont déroulés durant cette période. Les participants y ont brossé le portrait de leur communauté, identifié les principaux enjeux et formulé des projets pour réduire les inégalités. Se côtoyaient des personnes et des organisations provenant des réseaux communautaires, institutionnels et privés.
Selon Norbert Rodrigue, la perspective générale du développement social vise à contrer le déficit social structurel, pour favoriser, l’insertion sociale et la participation active de tous à la vie collective. On fait ainsi émerger des espoirs sur le rôle régulateur de l’État, sur le développement local (décentralisation), sur l’apport novateur des organismes communautaires et sur l’intersectorialité. La participation sociale était et demeure la pierre d’assise de toute la démarche en matière de développement social. On peut le constater dans les actions entreprises par les diverses régions et localités à travers le Québec.
Lors du Forum national, quatre enjeux, toujours actuels, sont ressortis clairement : mieux harmoniser les politiques et les interventions économiques et sociales; mieux orchestrer la lutte contre les inégalités sociales et économiques; renforcer et adapter les politiques sociales aux réalités de la population, des différents groupes et territoires; revoir les rapports entre l’État et la société civile.
Vingt ans plus tard, on peut observer des milliers d’interventions en développement social à travers tout le Québec. Plusieurs municipalités, organismes communautaires et institutions publiques se sont dotés d’orientations, de politiques et de plans d’action en développement social. Il reste maintenant à l’État à se doter d’une telle politique.
Il y a une relève à Norbert Rodrigue, notamment chez le Réseau québécois de développement social. On peut rendre justice à sa mémoire et à son héritage en citant le passage suivant :
« Les intérêts communs de ses membres sont la progression des démarches régionales de développement social et l’amélioration des pratiques. Cela se traduit notamment par le partage des informations, des outils et des connaissances, par la mise en commun des expériences et des pratiques, par le réseautage et les coopérations entre régions, par la participation à des formations, par l’ouverture à l’innovation et par le développement d’une intelligence critique collective. »
Réseau québécois de développement social, 2013
Pierre Laurence
Chercheur associé
Chaire de recherche en développement des collectivités
Université du Québec en Outaouais
Marc-André Maranda
Directeur du programme de santé publique (2003-2009)
Ministère de la Santé et des services sociaux
Membres du comité organisateur du Forum sur le développement social (1998)
La photo de couverture est tirée du site internet de l’Ordre national du Québec.